Quand l'IA donne des ailes à l'aérospatial

 
 

En mai 2023, j’ai eu l’opportunité d’être invitée comme conférencière aux AED Days 2023 de Oeiras, près de Lisbonne au Portugal, un important rassemblement des différents acteurs du domaine aérospatial en Europe. Les leaders de l’industrie étaient représentés, ce qui m’a permis d’échanger avec des entreprises comme Airbus, Aernnova, Embraer, Lockheed Martin sur les sujets du digital et de la contribution de l’IA dans la transformation numérique.

Le Québec et le Canada jouissant d’une réputation fort enviable sur le sujet de l’intelligence artificielle en Europe, c’est avec fierté que j’ai pu représenter le Canada dans ce grand rassemblement, aux côtés des représentants de l’Ambassade du Canada. Dans cet article, il me fait donc plaisir de faire ressortir les faits saillants des différents échanges que j’ai pu avoir avec des spécialistes du domaine. Il va sans dire que l'IA était au cœur des discussions!


Un savoir-faire mature en ingénierie… mais des défis pour une transition vers l’IA

On pourrait penser que puisqu’elles produisent des appareils hautement sophistiqués, les entreprises du domaine de l’aérospatial sont les plus matures en termes de valorisation des données et de l’utilisation de l’intelligence artificielle. En effet, ces entreprises produisent ou contribuent à développer des appareils hautement sophistiqués qui vont dans les airs et même dans l’espace! Il est vrai qu’elles ont un extraordinaire savoir-faire de souvent plusieurs décennies dans le domaine de l’ingénierie. La qualité des appareils construits est indispensable et les entreprises ont un grand souci en ce sens. La maturité au niveau du métier est élevée et la réputation des joueurs n’est plus à faire.

 
 
 

Or, au niveau des données et de la transformation numérique, les entreprises du domaine aérospatial sont confrontées aux mêmes défis que plusieurs grandes organisations d’autres secteurs d’activités, qui ne sont pas natives numériques. Ainsi, un amalgame d'acquisitions d’entreprises antérieures, de lignes d’affaires autonomes, de systèmes technologiques multiples et de différentes générations ont engendré des problématiques de données conservées en silos, où la mise en commun de celles-ci et leur appariement sont de réels défis. De plus, des processus opérationnels vieux de plusieurs années (quand ce n’est pas de décennies!), font en sorte que les entreprises doivent composer avec des informations encore conservées dans des documents papier.  Et évidemment, la qualité des données peut être très variable, étant donné que plusieurs processus sont encore manuels. En effet, des problématiques de données incomplètes ou non conformes sont rencontrées. D’un autre côté, la modernisation au niveau des différents appareils manufacturiers engendre de plus en plus de données à conserver, à gérer et à valoriser. Des investissements humains importants sont donc nécessaires au niveau de l’expertise en données dans les organisations.

Quelques particularités du secteur font également en sorte que le développement, mais surtout le déploiement de l’IA se fait lentement et prudemment. Parmi celles-ci, j’aimerais mentionner que, contrairement au domaine de l’automobile, les volumes de production sont plutôt faibles. On ne fait pas des millions d’avions à chaque année! On est donc plus souvent dans du développement particulier, voire parfois près du sur-mesure. C’est un élément à considérer dans un contexte d’automatisation intelligente des processus. Les impacts potentiels sont au niveau des volumes de données, des approches d’IA qui peuvent être mobilisées, mais également au niveau du modèle financier sous-jacent au développement et au déploiement d’une solution d’IA. Un autre élément d’importance à considérer est le risque au niveau de l’apport de changement dans les processus. En effet, on ne veut pas expérimenter (et surtout faire des erreurs!) sur des processus critiques reliés à l’assemblage des avions ou des appareils qui iront dans l’espace. La sécurité des personnes doit toujours être au cœur des préoccupations. Il faut donc avoir une confiance absolue dans la solution d’IA déployée dans un processus critique!


Le potentiel de l’IA dans le domaine aérospatial

Pour le secteur manufacturier et industriel, nous proposons chez Videns un modèle simple d’impact de la valorisation des données et de l’IA pour les activités de l’entreprise. Ce modèle propose trois catégories :
1. Transformation numérique interne bout en bout;
2. Transformation numérique des produits et services;
3. Nouveaux modèles d’affaires digitaux.

Ce modèle est illustré à la figure suivante : 


À mon avis, ce modèle est tout à fait approprié quand on parle de l’impact de la valorisation des données et de l’IA dans les organisations manufacturières et industrielles du secteur de l’aérospatial. Ainsi, la première façon d’avoir de l’impact est en focussant sur la transformation des opérations internes de l’entreprise. On parle ici surtout d’efficacité ou d’efficience opérationnelle grâce à l’IA. Le retour sur investissement est souvent très élevé et permet de résoudre des problématiques comme celle de la rareté de la main-d’œuvre, qui n’échappe pas au secteur aérospatial européen et canadien. En fait, on retrouve souvent dans cette catégorie des projets qui visent majoritairement une réduction des coûts. Pour automatiser un processus de façon intelligente avec l’IA, il faut d’abord que ce processus ait été optimisé en amont. On ne veut pas mettre de l’IA sur quelque chose qui n’est pas efficace ou optimal!  

La seconde façon d’avoir de l’impact avec l’IA est de mobiliser cet outil au cœur des services ou des produits qui sont distribués. C’est donc l’objet de la vente qui est modernisé par l’IA. Les bénéfices sont nombreux : un avantage concurrentiel par l’offre d’un produit ou un service plus moderne que ses compétiteurs, la satisfaction client, la réduction des erreurs humaines lors de l’utilisation, la simplification, … 

Finalement, l’IA peut être mise à contribution afin de générer de nouveaux modèles d’affaires digitaux ou de nouveaux produits et services. C’est souvent l’apport de nombreuses startups à l’industrie de l’aérospatial! On pense en dehors de la boîte ou on découvre un besoin non répondu qui peut l’être par l’IA. 


Quelques cas d’usage 

Les compagnies sont souvent optimisées dans leur cœur de métier. C’est leur savoir- faire, leur différentiateur. Les cas d’usage dans des fonctions en dehors du cœur de métier, où les processus sont souvent moins optimisés, sont de belles opportunités. Par exemple, une compagnie qui manufacture des réacteurs d’avions a probablement des fournisseurs multiples. Or, il est fort possible que les chaînes d’approvisionnement, qui ne sont pas au cœur de l’activité de l’entreprise, ne soient pas optimisées au même niveau que la fabrication des réacteurs elle-même.

Aux AED Days, les cas d’usage discutés tournaient beaucoup autour de la maintenance prédictive et de l’automatisation des chaînes de production. La maintenance prédictive (et proactive!) permet de détecter des anomalies dans les appareils de production et ainsi prédire les bris. Il est donc possible d’anticiper la nécessité de faire une maintenance et de la planifier avant que les problèmes surviennent. Ce type de solution permet de minimiser le temps d’arrêt des appareils et, dans le cas des avions, de réduire les coûts de «non opération» qui sont générées en cas d’arrêt.

L’automatisation des chaînes de production par l’IA est beaucoup en lien avec la modernisation des équipements. En effet, les nouveaux équipements intègrent souvent des automates qui permettent de réaliser des tâches simples de façon automatisée. Grâce aux données générées par les capteurs et les appareils modernes installés, des solutions plus évoluées d’automatisation peuvent être développées et intégrées. 

À ces cas d’usage discutés, j’ajouterais que l’IA et des approches d’optimisation peuvent également appuyer des processus comme l’aménagement des cabines. En effet, les matériaux disponibles, leur volume, leur coût, les temps de production et le calendrier de projet sont des exemples de contraintes à tenir en compte pour produire avec une meilleure efficacité et une meilleure rentabilité.  

Finalement, les solutions de prévision peuvent avoir un apport positif considérable dans le secteur de l’aérospatial. En effet, des modèles prédictifs peuvent être développés pour anticiper la demande de pièces, le coût des matériaux ou, pour les compagnies aériennes, les achats de billets d’avions. Ce type de solutions d’IA permet notamment de faire une meilleure gestion des coûts et des délais, une meilleure allocation des ressources et une tarification dynamique, notamment. 


L’IA au bénéfice de l’environnement et du développement durable?

Le domaine aérospatial est passionnant! Pendant les AED Days, j’ai pu entendre des conférences très inspirantes qui faisaient voyager dans l’espace. En voyant tout le potentiel de l’industrie au-delà de la terre, on se sent très petit… Toutefois, de réelles préoccupations ont également été discutées, notamment au niveau de l’impact de l’industrie aérospatiale sur l’environnement et de la pollution générée dans l’espace par les multiples débris découlant de l’activité humaine. Lors de sa conférence aux AED Days, Raphael Roettgen, de l’organisation e2mc.space, a mis en garde que l’impact de l’humain dans l’environnement spatial est comparable aux problématiques dévastatrices des déchets de plastique présents actuellement dans les océans. Ça m’a beaucoup marquée. Dans 30 ans, allons-nous tenter de trouver des solutions pour dépolluer l’espace? Est-ce que l’impact de l’humain sur les nouveaux environnements explorés pourrait être plus positif? 

Un défi est donc lancé : comment l’IA peut-elle appuyer l’industrie aérospatiale dans une optique de développement durable?